Réveiller le tigre, guérir le traumatisme
- solenne.armoni

- 25 août
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Dernière mise à jour : 2 nov.

Peter Levine, docteur né aux États-Unis en 1942, perçu que la croyance répandue à son époque, selon laquelle le traumatisme ne pouvait être guéri, relevait en réalité d’un manque de compréhension et donc de compétence dans le domaine médical.
Au cours de ses recherches et de son expérience directe auprès de patients traumatisés, il découvrit que les réponses traumatiques sont gouvernées dans notre organisme par notre partie primale, notre part animale. Depuis notre cerveau le plus ancien, le reptilien (aux côtés du limbique, qui gouverne les émotions, et du cortex, siège de la pensée rationnelle), certains processus se déclenchent en cas de danger et activent des mécanismes de lutte, de fuite ou de sidération. Notre système nerveux n’ayant pas évolué aussi rapidement que d'autres parties de notre organisme, nous pouvons sous cet angle être considérés sans équivoque en tant qu'animal humain.
Peter observa les réactions d'un jeune impala face à la chasse d’un guépard, passant d'une attitude paisible pour brouter, à une réaction intense de fuite, puis, si nécessaire, à une immobilisation complète, comme acceptant sa mort. En cas de survie suite à l'attaque, si ce processus naturel se déroule sans interférence jusqu'à sa résolution, aucune trace de traumatisme ne reste dans l’organisme. Le problème survient lorsqu'après l'activation d'une réponse de sidération, qui nous engourdit à titre de protection par la dissociation, l’énergie reste bloquée dans notre système. Peter prend comme exemple l’énergie déplaisante qui serait présente dans notre corps si nous étions arrêtés une seconde avant l’orgasme. Voilà ce qui se produit, mais cent fois plus fort, lorsque notre organisme passe d’un état de lutte ou de fuite, à la sidération. Cette énergie bloquée doit donc être libérée avant que la vie ne puisse reprendre son cours paisiblement.
Notre corps, dans son intelligence, sait parfaitement quoi faire. Nous avons simplement besoin de nous reconnecter à notre instinct animal. Retournons donc à notre jeune impala (avec un plus âgé ça fonctionne aussi ;) qui aurait eu la chance d’échapper au guépard suite à son immobilisation. Dès sa sécurité retrouvée, il va trembler, secouer tout son corps, faire des mouvements désordonnés, évacuant ainsi le trop plein d'énergie restant. En perdant notre connexion avec cette part primitive, nous avons aussi perdu notre capacité à décharger l’énergie mobilisée en cas de danger, et c’est alors que le traumatisme survient. La bonne nouvelle, c’est que le traumatisme peut être guéri, simplement en apprenant « à éveiller nos ressources physiologiques profondes et à les utiliser consciemment ».
Peter comprit également que pour guérir le traumatisme, il est inutile de fouiller dans les souvenirs du passé ou d’activer la douleur émotionnelle associée, cette approche risquant au contraire de re-traumatiser la personne. Car les éléments déclencheurs (triggers) liés à l’événement menaçant ne sont pas la cause des symptômes traumatiques, mais bien le résultat de ce processus énergétique inachevé, qui laisse la réponse physiologique « suspendue dans la peur ». En plus de la libération de cette énergie refoulée, il est nécessaire d'activer la capacité de la personne traumatisée à mobiliser ses ressources de survie, sa faculté de répondre à une menace par la fuite ou l'attaque. Offrant ainsi à son système une nouvelle réponse sécurisante face à l’événement traumatique, avec l'aide d'ancrages rassurants.
Dans la Somatic Experiencing, la méthode thérapeutique développée par Levine, on utilise les sensations corporelles pour repérer où le traumatisme s'est logé, et en ne l’abordant pas de manière frontale, on protège la personne d’une nouvelle sidération. Cette méthode vise à rétablir en douceur la circulation énergétique par le ressenti corporel (felt sense) et à réactiver nos ressources instinctives. Il insiste sur le fait que les souvenirs récurrents expérimenter par la personne sont surtout la tentative de son système d’exprimer un ressenti. Se focaliser sur les symptômes traumatiques serait aussi une erreur, car ils constituent en réalité des soupapes de sécurité qui nous permettent de continuer à fonctionner, en relâchant juste assez de pression.
La guérison commence au niveau physiologique, car la sortie d’un état d’immobilité doit venir directement de nos instincts les plus profonds, de notre cerveau reptilien. Notre part rationnelle se trouve impuissante à ce niveau d'organisation. Nous devons faire confiance à notre corps pour nous guider vers la résolution naturelle du traumatisme.
La peur de ressentir des émotions intenses (comme la terreur, la rage, la violence) ou d’être submergé par la décharge d’énergie qui survient lorsque l'on sort de l'état de sidération, nous empêche souvent de compléter ce processus. Mais comme expliqué plus haut, l’énergie doit être libérée de notre système nerveux pour que nous cessions d’être constamment activés comme si la menace était encore présente. La solution consiste à devenir progressivement conscient de ce mécanisme par le ressenti corporel, porter attention aux sensations perpétuellement changeantes de notre corps, et à différencier l’état traumatique de l’état d’activation. Lorsque nous parvenons à ressentir ce que nous vivons sans chercher à l’interpréter, cette énergie biologique peut être intégrée et le traumatisme renégocié par notre système.
L'effondrement, la contraction et la dissociation sont des réponses normales en cas de danger. Elles ne posent problème que lorsqu’elles deviennent chroniques et figées, car se sont nos sensations, « l’expérience viscérale inconsciente », qui dictent à notre organisme si nous sommes en sécurité ou non. Mécanisme que Stephen Porges appelle la neuroception, pour de plus amples informations voici le lien de l'article sur la théorie polyvagale et le fonctionnement du système nerveux autonome. Notre état général répond donc davantage à nos sensations corporelles qu’à la réalité extérieure. Et lorsque notre système nerveux est saturé, nos perceptions en sont profondément modifiées. Cette même énergie biologique, une fois régulée, nourrit au contraire notre vitalité, notre sensualité et notre joie.
Il est possible d’utiliser l’énergie activée pour décharger doucement notre système nerveux. Pour cela, nous n’avons pas besoin d’identifier la source de notre détresse, mais plutôt de se concentrer sur ce que nous ressentons et d’observer l’évolution constante de nos sensations. Lorsque nous cessons d’essayer de comprendre, nous permettons à notre cerveau reptilien de compléter ce processus naturel à son rythme. Dans cet état d’activation, quand nous pouvons ralentir et ressentir pleinement toutes les sensations liées au schéma traumatique, nous commençons à transformer nos pulsions, et de comportements compulsifs, elles deviennent conscience. Nous devenons plus résilients, plus spontanés, et apprenons par le ressenti corporel à nous connaître. Notre instinct ne se contente pas de nous protéger, il est aussi ce qui nous dit que nous avons notre place ici. Le sens de qui nous sommes est instinctif.
En conclusion, car je trouve ces mots en magnifique résonance avec la sagesse de la Non-Linear Movement Method, je voudrais citer encore une fois directement Peter Levine : « La sensation corporelle, plutôt que l’émotion intense, est la clé dans la guérison du traumatisme. »





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