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Le corps se souvient

  • Photo du rédacteur: solenne.armoni
    solenne.armoni
  • 9 sept.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 2 nov.

Santé - Soins - articles - bessel van der kolk


En 1978, un psychiatre du nom de Bessel Van Der Kolk rencontre dans sa pratique des vétérans du Vietnam traumatisés et entreprend une quête pour comprendre les mécanismes de leur souffrance et trouver des moyens leur permettant de « se sentir pleinement vivants à nouveau ».


Deux ans plus tard, Chaim Shatan et Robert J. Lifton, psychanalystes new-yorkais, parviennent à faire reconnaître un nouveau diagnostic : le trouble de stress post-traumatique. Dans ce contexte, Bessel commence à écouter différemment les patients dépressifs et anxieux venant le voir. Il remarque que toutes ces personnes ont en commun des histoires de maltraitance et de violence familiale. Les enfants sont particulièrement vulnérables, et lorsque la personne censée protéger devient aussi source de douleur et de terreur, des dommages profonds peuvent survenir.


Bessel remet alors en question l’approche consistant à traiter uniquement les symptômes (crises de rage, comportements suicidaires, hallucinations, etc.) sans se pencher sur la racine du problème : le traumatisme. Sa rencontre avec Peter Levine confirme la pertinence de ses observations : les souvenirs traumatiques de l’enfance et les événements traumatiques vécus à l’âge adulte s’inscrivent dans le corps, et la souffrance est le plus souvent un vestige du passé.


Dans son livre, Le corps n'oublie rien, de nombreuses études scientifiques montrent comment le trauma s’inscrit dans notre organisme. Les outils d’imagerie cérébrale démontrent clairement que les expériences traumatisantes modifient nos perceptions et même notre capacité à penser. Et si la thérapie par la parole peut être utile, elle reste insuffisante pour réguler les réponses physiques automatiques au danger, restées actives après un traumatisme. L’apparition des médicaments antipsychotiques, réduisant certes drastiquement le nombre de personnes hospitalisées en psychiatrie, ne permit cependant pas d’apporter une solution durable vers un rétablissement complet.

Bessel menant de nombreuses recherches sur le traumatisme, fonda le Trauma Center où des milliers d’enfants et d’adultes furent pris en charge. Ils démontrèrent que la guérison est possible lorsque les personnes parviennent à intégrer leur expérience traumatique comme un événement appartenant au passé, retrouvant ainsi un sentiment de sécurité dans le présent.


Darwin avait déjà compris le lien corps-cerveau dans notre capacité à gérer les émotions. Il appelait ce système de régulation interne le nerf « pneumogastrique ». Notre système nerveux autonome possède deux branches principales : le système (ortho)sympathique, qui agit comme un accélérateur, et le système parasympathique, comme un frein. En 1994, la théorie polyvagale apporta une compréhension scientifique de l’expérience biologique de sécurité et de danger. Stephen Porges alla même jusqu'à distinguer une troisième branche : la partie dorsale du nerf, activée lors de la réponse de sidération.

Naviguer aisément entre la mobilisation, l'attaque et la fuite, l'immobilisation, l'état de sidération, ou le repos, la digestion et la reproduction est essentiel pour tout être vivant. Un système nerveux en bonne santé est avant tout flexible.


Les traumatismes altérant nos perceptions, laissent notre système dans un mode de danger permanent et entraînent toutes sortes de symptômes pénibles. En cherchant à anesthésier les sensations douloureuses par des médicaments ou la dissociation, les personnes finissent par perdre le contact avec leurs sensations de vitalité et de plaisir. Quand la personne parvient à accéder à ces sensations traumatiques effrayantes sans être submergée, le processus de guérison peut commencer. Tout débute par l'attention, par notre capacité à ressentir les sensations corporelles sous-jacentes aux émotions (tension musculaire, chaleur, pression…). Observer ce que nous ressentons est la première étape pour comprendre pourquoi nous le ressentons. Apprivoiser nos sensations internes permet de restaurer la conscience de soi.


Bessel a aussi exploré le rôle de l’attachement précoce dans notre façon d'interagir avec le monde à l’âge adulte. Par exemple, lorsqu’une mère n’est pas en mesure de répondre aux besoins de son bébé, l’enfant s'adapte alors pour préserver ce lien vital, développant la fausse croyance qu’il y a quelque chose de mauvais en lui. Les personnes avec des difficultés à se connecter aux autres sont susceptibles de créer maladies, conflits, voire procès, pour maintenir malgré tout une forme de lien. La clé reste donc d’apprendre à créer un sentiment de sécurité. Et pour cela, inutile de détailler tout le passé ou de convaincre la personne qu’elle n'est pas "mauvaise". Au contraire, être entendu et vu dans ce que l'on ressent, ici et maintenant, nous apaise profondément. « Je vois que tu ne te sens pas bien avec toi-même » crée beaucoup plus de connexion, et donc de sécurité, que « Tu as tort de te sentir mal, tu es une personne formidable », même si l’intention est d’aider.


Quand notre carte du monde est remplie de terreur et de désespoir, changer notre manière de penser ne suffit pas. La plupart des gens comprennent ce qui se passe, mais n'arrivent pas pour autant à modifier leur comportement. Le cerveau émotionnel contient nos croyances les plus profondes, notre carte du monde. Bessel prit la responsabilité de trouver des moyens pour réorganiser le système nerveux lui-même, pour aider ses patients à transformer leur paysage intérieur. Encore une fois, la première étape est d’observer et de tolérer ce qui se passe à l’intérieur, à chaque instant. En reconnaissant nos sentiments d’humiliation, de rage, d’impuissance, de terreur, et en restant présent, d’autres émotions, tel que la sérénité, l'amour et la joie peuvent alors émerger.


Il a été constaté que des pratiques comme le yoga, le théâtre, la respiration consciente, la Non-Linear Movement Method, les arts martiaux, la méthode Feldenkrais, la musique, le massage, la somatopathie et toutes les pratiques incarnées favorisant la régulation, permettent de retrouver la capacité d’intégrer toute la richesse de notre expérience de vie. Même si les traumatismes peuvent influencer l’expression de nos gènes, les rendant plus ou moins sensibles aux signaux corporels, ils n’en modifient néanmoins pas la structure fondamentale. L’épigénétique révèle comment le traumatisme s’inscrit au plus profond de notre organisme, mais si rien n’est immuable, pas même nos gènes, la guérison est donc bien possible.


Bessel et ses collègues, comprenant que les traumatismes infantiles sont à la racine d’une grande partie de la souffrance dans le monde, proposèrent le terme de Trouble Traumatique de Développement (Developmental Trauma Disorder). Ils organisèrent leurs recherches et soumirent ce diagnostic pour l’intégrer à la « bible » de la psychiatrie. Forts de leur expérience pratique et témoins des dégâts causés par des diagnostics erronés, ils voulurent alerter sur l'erreur, commune dans le domaine médical, de se focaliser sur les symptômes plutôt que sur le trauma qui les génère. Leur proposition fut rejetée ce jour-là. Mais de plus en plus de publications témoignent des effets du traumatisme sur le fonctionnement de l'esprit et du corps, permettant l'émergence d'une société consciente des enjeux salvateurs d'une telle approche.


Bessel Van Der Kolk écrit ce livre, Le corps n'oublie rien, avec le désir brûlant de partager ses connaissances pour aider le plus grand nombre. J’ai été émue par son engagement, son dévouement, et la lecture des terribles abus vécus par ses patients m’a bouleversée, m'offrant une perspective nouvelle sur la souffrance humaine. Sa curiosité, son intelligence et son ouverture d'esprit ont amené Bessel à explorer de nouvelles approches, telles que l’EMDR, l’IFS (Internal Family System) et bien d’autres, tous des précieux outils thérapeutiques.


Et parce que j’aime finir par une citation de l'auteur ayant inspiré mon article : « Notre capacité à nous détruire les uns les autres est à la mesure de notre capacité à nous guérir les uns les autres. »

 
 
 

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