La théorie polyvagale
- solenne.armoni

- 9 sept.
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Dernière mise à jour : 24 oct.

Durant l’évolution, les mammifères développèrent certaines capacités de coopération, apparaissant grâce à notre habilité à passer d’un état de défense à un état de sécurité et de confiance. Dans notre système nerveux autonome (SNA), trois voies se créèrent au cours de millions d’années. La première fût la branche appelée vagal dorsal, vieille de 500 millions d’années, nous protégeant par l’immobilisation et la perte de sensation, appelé aussi état de sidération. Puis, 400 millions d’années avant notre ère, arriva la branche sympathique, qui apporta une stratégie de survie par la fuite ou l’attaque, basée donc sur le mouvement. Et enfin, il y a environ 200 millions d’années, le système vagal ventral apparaît, propre aux mammifères, avec sa capacité de co-régulation permettant de nouvelles compétences en socialisation.
En tant que scientifique, Stephen Porges développa la Théorie Polyvagale en vue de comprendre les processus en place dans notre physiologie, notre mental et notre comportement en relation avec le système nerveux autonome. Par la suite, les cliniciens utilisèrent ce savoir afin d’aider leurs patients à repérer comment leur expérience de sécurité, ou de danger, façonnait leur capacité à être en lien, indispensable pour nous en tant qu’êtres humains. Nous passons sans cesse de la déconnexion, à l’alerte, ou à l’engagement au cours de la journée, et désormais, à travers le prisme de cette théorie scientifique, nous comprenons pourquoi et comment.
Stephen inventa le terme de neuroception pour décrire la façon dont les signaux de sécurité ou de danger déclenchent une réponse directe dans notre SNA, depuis l’intérieur du corps. Il la distingue de la perception, dans le sens où ce système de détection agit « bien en dessous du domaine de la pensée consciente », le cerveau recevant 400 milliards d’informations par seconde pour seulement 2000 perçues consciemment. Le nerf vague (nerf crânien X), dont le nom vient du latin vagary signifiant « vagabond », communique dans les deux sens entre le cerveau et le corps. Mais 80 % de ses fibres sont sensorielles (afférentes) et seulement 20 % sont motrices (efférentes), ce qui signifie que la grande majorité des informations relatives à notre sécurité sont envoyées au cerveau depuis le corps. Ainsi, avant même l’interprétation du cerveau, le SNA a déjà évalué notre environnement et activé une « réponse adaptative de survie ». C’est ce que Stephen Porges appelle la neuroception, et elle précède la perception.
Lorsque notre système est perturbé par un traumatisme, nous perdons notre capacité à nous engager avec les autres, nos schémas de connexion deviennent des schémas de protection. Robert Macy donne une définition très éclairante du traumatisme : « une demande écrasante imposée au système physiologique humain ». Avec un système nerveux régulé, les trois branches fonctionnent aussi dans leur rôle non réactif : le visage et le cœur connectés grâce à la partie ventrale du nerf vague, le contrôle des cycles respiratoires, du rythme cardiaque et de la température corporelle par le système sympathique, et enfin la branche du vagal dorsal pour soutenir la digestion, le tout conduisant à un bien-être global. Comme démontre la Théorie Polyvagale, ces trois parties du système nerveux sont façonnées par notre expérience au fil du temps et peuvent donc être remodelées grâce à la reconnaissance de leurs différents états d’activation. Ces états sont appelés immobilisation, effondrement ou danger de mort pour le vagal dorsal, mobilisation, alerte ou menace pour l’activation sympathique, menant à la fuite ou l’attaque, et engagement social, régulation ou sécurité pour le vagal ventral.
Lors d'un passage en vagal dorsal, le corps réduit au minimum la circulation de son énergie, ralentissant tout le système pour devenir aussi immobile que possible. Dans cet état de sidération, la dissociation et l’inhibition apparaissent, nous protégeant de la douleur physique et émotionnelle. En tant que mécanisme de survie, le vagal dorsal est d’une efficacité absolue et nous a ainsi secourus pendant des millions d’années. Un retour à la mobilisation est néanmoins nécessaire pour sortir de cette torpeur et retrouver ensuite un état de sécurité naturel. Voici le lien vers un autre article sur la guérison du traumatisme où ce processus est détaillé. Mais quand notre capacité à la régulation est altérée, nous rencontrons alors en vagal dorsal la solitude, le sentiment d’être perdu, impuissant et désespéré. À l’inverse, dans un état de régulation vagal ventral, l’espoir peut émerger et de nouvelles options se manifester. Cet article est basé sur ma formation avec Nolwenn Poiriez et sur le livre de Deb Dana, La Théorie Polyvagale en thérapie, écrit comme un guide destiné aux professionnels de la santé en vue d’aider leurs clients d’abord à comprendre, puis à gagner en flexibilité dans leur SNA. Ce que nous nommons ici flexibilité est la capacité à passer d’un état d’alerte, de danger, ou de sécurité avec aisance. L’expérience traumatique faussant notre perception des signaux de danger et affectant notre capacité à passer facilement d’un état à un autre, certaines personnes ayant un passé d’abus ou de négligence, trouve dans la relation avec leur thérapeute l’occasion de découvrir un état de sécurité grâce à la co-régulation, offrant ainsi de nouveaux schémas propices à l’évolution.
Pour co-réguler, le système nerveux d’une personne en détresse, entrant en contact avec le système nerveux d’une personne en vagal ventral, état de sécurité, peut progressivement passer d’un état d’alerte ou de danger vers la régulation. L’image d’une échelle est souvent utilisée pour décrire ces trois états différents. Car pour sortir du vagal dorsal, il faut d'abord passer par l’activation sympathique, avant de pouvoir atteindre le vagal ventral. Pour gagner en flexibilité dans notre SNA, être capable de se défendre ou de se détendre au moment approprié, pour reconnaître nos schémas de protection et approfondir notre expérience de sécurité et de régulation, des exercices de respiration, le chant, des pratiques comme la méditation ou la Non-Linear Movement Method, peuvent nous aider à activer notre nerf vague et améliorer nos capacités à communiquer, à être en lien, avec soi et avec l’autre. Le Système d’Engagement Social est la relation entre le visage et le cœur, connectés par le nerf vagal ventral, qui contrôle aussi nos expressions faciales. C’est pourquoi un sourire et une présence chaleureuse sont des clés pour retrouver la connexion, et donc créer un sentiment de sécurité intérieure, indispensable aux processus de guérison.
Deb décrit un schéma où la personne passe en permanence d’un état de sidération, à un état d’alerte pour un retour à l'effondrement, sans pouvoir accéder à son état de régulation. Mécanisme pouvant apparaître lorsqu’un environnement sécurisant, certaines compétences internes ou un soutien social manquent. Ce schéma peut aussi se produire lorsque la décharge d’énergie, présente lors du passage de la sidération à l’activation sympathique, est rencontrée par la peur. Demander alors à une personne en neuroception de danger de rationaliser ou d’accéder à ses capacités sociales ne fait qu’aggraver la situation, ajoutant au mécanisme de protection un sentiment de culpabilité, de honte et de perte de pouvoir. Il est donc nécessaire d'apprendre à se réguler soi, puis si possible l'autre, avant toute autre demande. Car la connexion et les relations deviennent inaccessibles en dehors d’un état vagal ventral de sécurité.
Je choisis de conclure par cette citation de Stephen Porges : « Nous sommes plus concentrés sur la gestion de ce qui nous menacent ou nous blessent, que sur la compréhension de ce dont notre système nerveux a besoin pour se sentir en sécurité. » Puissent l’intégration et la diffusion de ce savoir apporter toujours plus d'expériences de sécurité, de connexion et de régulation, à l’intérieur comme à l’extérieur.





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